Apport Spécifique
Dans quelle mesure peut-on parler d’apport spécifique des Communautés Juives à la culture marocaine, le terme de culture étant pris ici dans son acception la plus large ? Le mode de vie et de pensée des juifs, leurs langues, habitat et coutumes ont été dans leurs grands traits jusqu’à la colonisation ceux du pays en général, et de la région en particulier. La spécificité religieuse est la cause des particularités qui se sont affirmées au cours du processus historique sans aboutir pour autant à la juxtaposition de deux cultures différentes : il s’agit plutôt de variantes juives de la culture ambiante, le fond religieux étant - lui même - en dehors du dogme et des pratiques essentielles qui sont celles du rite sépharade(1) — teinté de spécificité marocaine au niveau des coutumes (minhag), des ordonnances juridiques locales (taqqanot) et des accompagnements de la liturgie.
Il s’agit donc de délimiter ta teneur de ces variantes, intéressantes en elles mêmes, en ce qu’elles participent de la diversité interne d’une culture marocaine globale et commune.
Interactions
Il s’agit aussi de discerner les interactions entre les deux communautés religieuses, ce qui, par delà les évidences tautologiques, l’environnement tribal, la civilisation musulmane majoritaire etc. … pourrait expliquer comment les communautés juives ont pu créer, apporter ou simplement transmettre, relayer, quelque chose de différent. Car quelle que soit -dans une société où les valeurs religieuses sont ou expriment la superstructure idéologique- la vigueur de la « frontière invisible » entre deux communautés, celles-ci n’ont jamais constitué des mondes étanches. Elles ont été imbriquées l’une dans l’autre. La cohabitation (le mellah n’est pas un phénomène général et n’apparaît qu’à partir des Mérinides), le commerce quotidien et aussi les conversions à l’Islam etc.… ont facilité des voies de passage pour les influences et emprunts.
Il faut aussi relativiser l’importance de ces apports en tenant compte du rapport numérique majorité-minorité, et aussi de la place de la minorité dans le tissu économico-social, avec ce qu’elle a d’amplifiant (rôle dans le commerce international vecteur d’apports externes, dans le petit commerce des souks, dans certains métiers) ou de restrictif dans le rapport musulman-dhimmi, dans le fait de deux sociétés autocentrées, privilégiant des aspects importants de la vie communautaire et religieuse.
1- On distingue les rites sépharades ou espagnol et ashkenaze. Le premier est celui des juifs du bassin méditerranéen parmi lesquels s'est affirmée, à partir du Moyen-Age, et davantage après l'expulsion de 1492, la prééminence des conceptios développées par les rabbins d'Espagne, de l'âge d'or andalou et de leurs continuateurs. Le rite ashkenaze concerne les juifs d'Europe centrale et orientale.